mardi 25 octobre 2016

Archéologie mémorielle



Suite à une résolution de l'Unesco concernant Jérusalem...
Réflexion personnelle


Le 18 octobre 2016 l'Unesco a approuvé une résolution sur les problèmes Israël-Palestine et notamment sur la question du Mont du Temple / Al-Aqsa Mosque/Al-Haram Al Sharif. Après son adoption jeudi 13 octobre en commission (avec 24 votes pour, 6 contre et 26 absentions), le texte a été validé par les 58 États membres du Conseil exécutif de l’Unesco réunis en assemblée plénière au siège de l’organisation à Paris.

On ne relève dans ce texte qu'une seule évocation – implicite – du fait qu'il y eut un Temple à Jérusalem, doté donc de murs, dont un « mur occidental » : la « Place du mur occidental » prend des guillemets après avoir été désignée, sans guillemets, sous son nom de Place Al-Buraq. Le Mont du Temple n'est jamais nommé, mais le lieu est évoqué dix-huit fois dans les termes – légitimes aussi – de Al-Aqsa Mosque/Al-Haram Al Sharif. On est donc censé ignorer l'archéologie symbolique et spirituelle d'où ressort que ce lieu appelé communément « saint » l'est précisément parce qu'il est chargé d'une portée symbolique du fait même de cette archéologie mémorielle – passée sous silence ! La directrice générale de l'Unesco a mis en garde quant aux tensions que pouvait attiser un tel texte.

Voilà qui est troublant en effet dans un texte de l'Unesco, dont le sigle porte les mots science, culture, éducation. Qu'est-ce en effet qu'une science historique qui ignore les faits historiques ? Qu'est-ce qu'une culture, censée être histoire et mémoire, qui porte l'amnésie mémorielle et culturelle ? Qu'est-ce enfin qu'une éducation qui établit un silence qui ne concède que des guillemets à une mémoire ignorée ?

À ce point, un chrétien du XXIe siècle s'interroge sur la mémoire de l'Unesco concernant le tournant marquant de la deuxième moitié du XXe siècle initiant la cessation de « l'enseignement du mépris » (en l'occurrence mépris du fait juif) réclamée par l'historien Jules Isaac, originant l'Amitié Judéo-chrétienne de France. Espérance d'une éducation où se substituerait enfin à un séculaire enseignement du mépris un enseignement de l'estime. Estime et respect en l’occurrence du judaïsme, de sa mémoire, et des juifs que le christianisme avait pris l'habitude d'enfouir dans le sépulcre d’un silence mémoriel où le mur occidental du Temple de Jérusalem n'était plus que lieu de lamentations d'un judaïsme s'obstinant à refuser de se voir substituer un christianisme détenteur unique d'une vérité amnésique. Une ignorance de l'histoire qui, face l'innommable qui se préparait dans la première moitié du XXe siècle européen, a émoussé l'efficacité de la résistance du christianisme. Efficacité nécessairement fondée en culture ; mais tout un pan de culture historique du fait juif faisait défaut au christianisme depuis des siècles…

Troublant de retrouver une amnésie silencieuse dans un texte de l'Unesco ! La réalité est pourtant bien simple : la mémoire du Temple de Jérusalem est le lieu symbolique où s'enracine la vie religieuse et liturgique du judaïsme vivant aujourd'hui : « l'an prochain à Jérusalem ». Cette mémoire juive concernant le Mont du Temple est le référant symbolique qui fonde la mémoire chrétienne concernant Jérusalem. Pour ne donner qu'un exemple : au cœur de la foi chrétienne est l’affirmation de l'accès ouvert à la grâce de Dieu, accès désigné symboliquement comme accès au lieu très saint, symbolisé par le lieu très saint du Temple de Jérusalem ! La symbolique mémorielle juive fonde bien la symbolique centrale de la foi chrétienne ! Mais n'en est-il pas de même pour la symbolique mémorielle musulmane ? Le texte de l'Unesco rappelle, à juste titre, la sainteté du lieu pour les musulmans, évoquant le Miraj/Ascension du Prophète sur Al-Buraq (dont le parvis du mur occidental porte à présent aussi le nom) depuis ce lieu. Mais pourquoi depuis ce lieu sinon du fait de sa sainteté, précisément ? Quelle sainteté sinon celle qui lui est, à l'époque du Prophète de l'islam, conférée par la mémoire juive ?

Froissant mémoire et culture, le texte de l'Unesco risque de desservir la cause de la paix qu'il se veut pourtant pour vocation de favoriser. Sur la mémoire ignorée, on ne bâtit pas la paix. Sur la mémoire symbolique ignorée, on paralyse la fonction réconciliatrice du religieux, porteur de la symbolique mémorielle en toutes les profondeurs de son archéologie spirituelle. Il en va même de la possibilité de la confiance et de son enracinement spirituel. Précurseur lointain de la cessation de l'enfouissement chrétien de la mémoire juive, Calvin rappelait au XVIe siècle que l'Alliance avec Israël ne peut être abrogée, sous peine de rendre vaine la confiance chrétienne en Dieu : que serait la fiabilité d'un Dieu qui ne tiendrait pas inconditionnellement ses engagements, ceux qu'il a pris en scellant l'Alliance avec Abraham puis avec le peuple du Sinaï ? Près de cinq siècles après le propos de Calvin, l’Église catholique avec Nostra Aetate affirme à son tour que l'Alliance avec Israël n'a pas été abrogée (l'année 2016, où l'Unesco émet sa résolution, marque aussi le cinquantenaire de Nostra Aetate). Ce qui vaut pour le christianisme vaut bien sûr aussi pour l'islam. Le Dieu d'Abraham est inconditionnellement fidèle à sa promesse – affirmation qui fonde la confiance inaltérable en Dieu qui permet l’établissement de la confiance entre les humains.

L'épaisseur de la mémoire que le texte de l'Unesco semble ignorer, fondée pour musulmans et chrétiens dans l'antécédence mémorielle juive, n'est pas une réalité facultative : il en va de la possibilité de l'enracinement en profondeur de la paix. Il en va du sens de nos traditions religieuses et culturelles respectives.

RP (version abrégée - version complète ICI)

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